Viens ici cocotte !
A la tombée du jour, me voici à essayer de faire rentrer dans le poulailler LA poule et le canard, à la demande de la voisine. Si le canard obtempère à peu près facilement, la poule se la joue rebelle, fait la belle et échappe à mes tentatives de blocage et de redirection.
A un moment, j’en ai assez, patience à bout, je ferme la porte du poulailler et retourne à la maison en marmonnant à la poule « tu as fait le choix de la liberté et du renard. Bonne chance. » Et je me réinstalle dans le canapé du salon, devant un épisode de l’excellente série italienne de Marco Bellochio Esterno notte consacrée à l’enlèvement et l’assassinat d’Aldo Moro par les Brigades rouges (Arte Tv).
Quand j’écris « patience à bout », juste avant l’épisode gallinacé, j’avais vécu juste avant un épisode « vie familiale » épique avec l’ado de la maison en mode hermétisme. En résumé « marre de tout ! » Capuche sur la tête, yeux rivés sur son téléphone, phrases décousues… J’avais enchaîné le mur adolescent et la poule, sans aucun succès de communication. Ma série était de l’ordre du réconfort malgré les enjeux de vie et de mort qui s’y trament.
A la fin de l’épisode, une petite heure après, est-ce les effets de la série qui a le mérite de présenter chaque point de vue (celui d’Aldo Moro, de sa famille, des brigadistes, des hommes politiques, du Pape) de cette tragédie sans manichéisme, je me suis levé du canapé. Allons, donnez une seconde chance à la poule ! J’ai rechaussé mes bottes et suis retourné au poulailler de la voisine. La poule attendait en caquetant devant la porte, de l’autre côté le canard cancanait. Tout un discours qui m’échappait et dont je n’ai pas cherché à comprendre. J’ai juste ouvert la porte en empêchant le canard de se faire la belle et après quelques tours derrière la poule, j’ai réussi à la faire entrer. Mission accomplie. Très fier de moi, citadin à la campagne.
Tu as offert à la poule une seconde chance, ou tu t’es offert une seconde chance avec la poule, fais de même avec l’ado, me suis-je dit. Et là, effectivement, effet du temps, d’avoir pris de la distance, il était en mode d’écoute, de ce que j’avais à lui dire. Moi de pouvoir l’écouter. Plus de capuche, lui arrive à me regarder quand je lui parle. Moi en capacité aussi d’entendre sa décision. Et de l’accepter. Le dialogue rétabli, je suis retourné voir la suite de la série (qui m’a donné l’envie de retourner à Rome et ce n’est pas le sujet de cet article) où malheureusement (je le savais déjà) la vie d’un homme est sacrifiée au nom du supposé intérêt général (du côté de la Démocratie Chrétienne) et de théorie révolutionnaire fumeuse (les Brigades rouges).
Est-ce que ça vous arrive de vous accorder une seconde chance ? Ou d’accorder une seconde chance à l’autre ?
Si cette histoire de poule et d’ado m’a interpellé, c’est que je me suis dit que je n’étais pas si tendre que ça avec moi-même. Ou dans mon rapport aux autres. La rigidité de l’ado, sa fermeture ont fait écho à ma propre fermeture quand je suis ou me sens blessé émotionnellement. J’ai dans ce cas tendance à me retirer, me mettre en retrait du monde.
Prendre le temps, s’offrir de la distance, du recul, ouvre à soi et à l’autre (poule comprise) un espace de respiration.
La poule : entre le chaud de la paille, derrière une porte verrouillée et la liberté liée au risque d’apercevoir la gueule d’un renard, qu’est-ce que je préfère ?
L’ado : vivre chez mon père ou chez ma mère, avantages/inconvénients ? Les trajets pour aller à l’école, la copine…
S’accorder une seconde chance c’est, me semble-t-il, aller dans le sens de l’assouplissement. Du mouvement. Ce qui me paraît juste un jour, ne sera peut-être plus vrai demain.
Je me suis disputé dernièrement avec un vieil ami, ayant entendu dans sa bouche des propos blessants et je n’ai pas non plus fermé la porte. J’ai ressenti un besoin de silence, de m’éloigner de lui pendant un certain temps. « Un certain temps » dont je ne connais pas la durée. Est-ce qu’on se reverra, je n’en sais rien. Et peu importe. J’ai confiance en la vie. Dans ses propositions. De nouveaux arrivants et donc aussi de départs pour faire de la place.
Être attentif aux signaux de la vie. En ce qui me concerne, je ne regarde plus la poule de ma voisine de la même façon. Je n’ai pas d’empathie particulière pour les animaux, à la différence de certains, je préfère la compagnie des humains. Et peut-être/sûrement que la fréquentation des animaux sera pour moi une source d’apprentissage détonnante.
J’y serai vigilant. Promis.
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