C’est fini!
J’arrive dans la chambre mortuaire. Le corps dans le cercueil. Le visage de cire de mon parent me rappelle celui de Vittorio Gassman.
Je m’assois. Dans mon ventre comme une rétraction. Je respire, lui non. Je suis en vie et son corps est inerte, coincé dans un dernier habitacle en bois mort. Je repense à mon père mort dans son lit d’hôpital. Mon cerveau me renvoya l’image de David Bowie. Besoin du mental à se raccrocher à du tangible, du connu face à la perte. La tristesse insondable de l’être aimé. Je faisais des exercices de respiration quand j’ai senti une présence qui s’échappait de ma poitrine, une montée au ciel. J’ai compris que mon père venait de partir. Quelques minutes après, le téléphone a sonné. Au bout du fil, la voix d’une infirmière. Avant qu’elle ne prononce les mots, je savais. Je l’avais ressenti.
Quand mon parrain est à son tour parti vers un ailleurs inconnu, j’ai ressenti une agitation intérieure. Je désirais peindre mais quoi ? Aquarelle ou acrylique ? Petit ou grand format ? J’ai opté pour un changement de cadre au mur et en manipulant une plaque de verre je me suis entaillé l’index de la main droite. Le sang a coulé. Je me suis souvenu d’un épisode de mon enfance où en voulant fendre un bois je m’étais entaillé un doigt. Mon oncle avait versé du whisky sur la plaie pour me désinfecter et m’indiquant qu’il valait mieux éviter de placer ses doigts à côté d’une hache quand il s’agissait de fendre une bûche.
La journée de l’enterrement m’est apparu comme une métaphore de la vie : de l’exaltation, des émotions et aussi des temps morts. Des points d’orgue et des ratés. L’impossibilité de tout vouloir contrôler, que tout soit au carré. Le prêtre qui officie me rappelle Gérard Jugnot (époque sans moustache). Un mélange d’humanité et de comique involontaire quand il n’arrive pas à ouvrir le calice pour sanctifier les hosties. Il improvise durant son homélie ce qui me fait entendre des propos qui glorifient la souffrance humaine (l’image du corps du Christ crucifié bien présente dans les églises) et la phrase d’après une ode au corps humain, merveille en soi, complexité de « technologies », invitation de vivre dans ce corps au temps présent, sans rien d’attendre d’un ailleurs hypothétique… je serai incapable de résumer la pensée du prêtre ! Son tour de force, peut-être comme les hommes politiques, a-t-il été de faire entendre à chacun ce qu’il avait envie d’entendre ? Il y a eu cette phrase que j’ai retenue « La passion rend aveugle, l’amour profond ouvre les yeux. » Un cousin, lui, a entendu « L’amour rend aveugle, le mariage ouvre les yeux. » A savoir ? Pour ma part, je suis resté éveillé durant l’office à l’affût des dérapages plus ou moins contrôlés de l’ecclésiastique et j’ai pris ma nourriture : la vie consiste en un bref passage sur terre, alors vivons-la avec appétit, amour et légèreté.
Ce qui importe dans nos vies, c’est l’humain
Pas le travail, la « mécanique ». J’ai souri quand les membres de la famille aux manettes de l’organisation de la journée grimaçaient, fronçaient des sourcils quand telle ou telle séquence (chants, prises de paroles, petits fours…) ne se déroulaient pas comme prévu. Si j’écris un jour mes dernières Volontés, je spécifierai bien que je souhaite le jour de ma mort que les couacs soient mis à l’honneur : pieds dans le tapis en montant à l’autel, organiste en roue libre, enfumage d’encens…
Cette journée mémorielle s’est achevée dans un café avec les derniers « survivants ». Ce n’était pas inscrit au programme et cela a prolongé cette belle journée d’hommage, d’amour et de solidarité. Et puis chacun est rentré chez soi.
La vie continue au-delà de la mort. Le partant nous laisse, à ceux qui l’ont connu, des traces. Des empreintes comme autant de soutien pour continuer d’avancer dans nos vies. Sur notre chemin d’apprentissage et de développement. Mon oncle a eu une vie heureuse, me semble-t-il. En aurait-il souhaité une autre ? Avait-il des vœux secrets ? Des envies non réalisées ?
Cela fait sens pour chacun d’entre nous d’éclairer, à la bougie ou avec une torche, nos possibles zones d’ombre afin de s’assurer qu’elles ont une place dans notre vie. Leur faire place pour éviter regrets-frustrations le jour de notre départ (programmé, c’est certain).
Les rêves sont une porte d’entrée pour accéder à notre inconscient : ils nous parlent de nous à nous. C’est un langage à décrypter. Notre corps nous envoie également des signaux. Je me suis réveillé deux jours avant l’enterrement avec une douleur dans le dos. Sans me rappeler le moindre faux mouvement. Plus un rhume la veille du jour J. L’enterrement passé tout est rentré dans l’ordre. Que je croyais… de retour en Belgique, les allergies sont revenues, idem une contraction au niveau des lombaires. Mon corps continue de digérer. Invitation au silence, au retour à Soi.
Je vis, je respire. Amen.
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