J’ai besoin de courir.
Assis sur mes rochers dans la forêt, mon second bureau, je vois passer en contrebas sur le chemin une promeneuse qui tient son chien en laisse. Une race de berger, cousine du mien. Sauf que mon chien est, lui, en train de gambader Dieu sait où dans la forêt. Sans m’inquiéter un instant. Je sais, le chien l’a déjà prouvé, qu’il me retrouvera si je quitte mon poste d’observation (extérieur et intérieur/émotionnel).
Voir ce chien attaché dans la nature me fait quelque chose, même si d’un point de vue administratif, c’est la promeneuse qui a raison : les chiens sont tenus d’être attachés. Même en forêt !
Évidemment ce chien tenu en laisse fait écho à ma propre histoire, je revois (ce n’est pas moi) un enfant dans la rue qui marche harnaché et relié par ses parents à une bride. Écho à toutes les séquences de mon passé où je me suis senti tenu en laisse, brider dans ma création, dans mes envies de grandir, d’avancer.
Enfant, je ne rêvais qu’à ça : grandir, couper la dépendance à mes parents.
En grandissant et en devenant « majeur », je me suis rendu compte que l’indépendance que je souhaitais de toutes mes forces ne s’obtiendrait pas en claquant des doigts. C’était du boulot et ça l’est encore. Sans fin jusqu’à mon dernier souffle.
Devenir « indépendant, majeur, adulte, homme ou femme » passe par un apprentissage.
J’ai envie, je ressens mon besoin d’indépendance et comment je fais pour l’obtenir ?
Je vis avec de (grands) ados à la maison et je vois bien leurs difficultés à passer de la parole (théorie) aux actes (pratique). Leurs inactions génèrent chez moi parfois de la colère. Je revis, à travers eux, ma propre adolescence et maintenant que je « sais » (je sais que je ne sais pas ?), que j’ai gagné en expérience de vie, je ne peux m’empêcher de penser qu’ils perdent leur temps. Comme j’ai le sentiment que j’aurais pu aller beaucoup plus vite sur mon chemin de vie, si j’avais su…
Je ne vous apprends rien : c’est à travers ses propres expériences, agréables ou non, que chacun trace sa route. Pour nos ados/enfants comme pour nous tous.
Ce week-end, j’ai aidé une ado dans un travail de recherche qu’elle avait à faire sur une peinture de Brueghel La tour de Babel. Un bon moment pour plusieurs raisons :
1. Ça m’a permis de travailler en douceur le lien avec la jeune fille de la maison
2. J’adore ce peintre et la toile est sublime
3. La tour de Babel est un mythe magnifique.
Je crois que le meilleur des apprentissages est celui qui se donne et se reçoit. La réciprocité. Qu’est-ce que l’autre apprend de moi et qu’est-ce que j’apprends de l’autre ? Qu’est-ce que l’ado a appris de ces deux heures passées ensemble, ça serait à elle de le dire. Pour ma part, au-delà du plaisir de travailler sur ce tableau et le mythe de Babel, j’ai nourri le lien entre elle et moi. Je l’ai renforcé après des phases conflictuelles.
Et elle m’a même surpris en me proposant un échange de services : puisque tu m’aides, je ferai quelque chose pour toi. Je l’ai remerciée, touchée par sa délicatesse, son attention.
Je l’ai reçu comme un cadeau. Le premier cadeau spontané qu’elle me faisait depuis trois ans, depuis que je la connais.
Pouvoir voguer sans laisse, c’est s’ouvrir à son intuition, ses vibrations et recevoir les surprises de la vie. Comme celle-là. Jamais je n’aurais imaginé (pensé) que le fait d’avoir dit « oui je suis prêt à t’aider » allait me voir offrir en retour, en cadeau, cette proposition d’échange de service. A laquelle, je répondrai à un moment ou un autre, parce que j’ai senti que c’était aussi important pour elle de m’aider. Que cela allait renforcer sa confiance en elle, son processus d’évolution : oui, moi aussi je peux aider un adulte ; moi aussi, je suis capable de.
Au moment où j’écris ces lignes, c’est la fin de la battue. Par la fenêtre, je vois les chasseurs qui remontent leurs chiens dans les cages. Une autre histoire, une autre allégorie possible. Je constate qu’un chien en cage ou en chasse me touche moins émotionnellement qu’un chien tenu en laisse.
Peut-être que pour vous, l’émotion serait liée à l’image de la cage ou de la chasse ?
A chacun son histoire. Et au-delà de celle-ci, nous sommes tous reliées à travers à nos émotions. Alors respectons-les, respectons-nous. Nos émotions nous indiquent le sens de notre vie.
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