Il est parti !
Mon corps est fatigué, vecteur victime de mes émotions. En digestion depuis la mort de mon oncle. Lumbago et allergie. Dos et nez qui éternue, à la fois. La parole est au corps, non pas à l’intellect ; ce dernier ayant parfaitement intégré la disparition. Le corps est plus lent. Le mien en tout cas. Mes difficultés dorsales me renvoient à la démarche raide de mon oncle. Je peux aussi l’entendre se moucher quand je me mouche.
Par l’intermédiaire de la perte de mon oncle, c’est le deuil de mon enfance qui surgit. Les dimanches heureux chez mes grands-parents. Les jours ensoleillés en Normandie (si si ça existe… c’est en Bretagne qu’il pleut tout le temps !), les parties de tennis, les repas familiaux.
Un temps lointain est, à ma grande surprise, toujours présent.
La perte de mon aîné me renvoie à un sentiment de solitude, la perte d’une boussole. Une invitation à devenir – encore davantage – le navigateur de ma propre existence. C’est peut-être cela que pleure mon corps et cœur. « C’est maintenant ! Que tu as à chausser ta casquette de capitaine de frégate ! »
Je me souviens de la mort de mon grand-père, plus précisément du jour de l’enterrement, de l’église et du cimetière. J’avais ou j’allais sur mes 17 ans. C’est jeune pour perdre un parent. Même si par la suite, j’ai beaucoup rêvé avec mon grand-père (j’écris « avec » parce que je crois que les figures de nos rêves sont des signaux de l’au-delà, des coucous sympathiques et soutenants).
Le départ de mon oncle c’est une béquille qui s’efface. Une invitation à reprendre la route une fois que mon dos et nez auront cessé de m’embrouiller la tête et fatiguer le corps.
Le deuil est une période à chérir avec lenteur (Je ne saurais pas faire autrement. Mon corps ne pourrait pas). Notamment des plus anciens. A l’enterrement de ma grand-mère, je me souviens d’avoir perçu qu’une partie de la tristesse de mon père était qu’il avait la préscience qu’il serait le prochain. Sur la liste des noms gravés sur la tombe. C’était le plus âgé de l’assemblée présente au cimetière. Effectivement, il fut le suivant. Au suivant ! Comme dans la chanson de Jacques Brel (dans un autre contexte et en même temps on est toujours le suivant de quelqu’un). Dans ma famille, j’ai encore ma mère et ma tante de la génération au-dessus… et ce sont des femmes ! Qui vivent plus longtemps que les hommes. Si j’exclue les femmes, je suis le premier homme sur la liste finale. Pour une fois, que je suis premier quelque part ! Je devrais être content.
J’ai vaguement le souvenir d’avoir été une fois premier à l’école (je ne sais pas si ça existe encore les remises de carnet de notes par le directeur de l’établissement ? Qui tous les mois entre dans la classe avec solennité, énonce la note générale de chacun, le rang et remet à l’élève son carnet avec le sourire ou les gros yeux selon) et ce jour-là j’étais absent. Malade ! J’ai raté mon quart d’heure de gloire, de célébrité comme dirait Andy Warhol ! Je me rattraperai le jour de mon enterrement : je devrais être à l’heure, bien portant (embaumé avec soin) et seul (j’espère bien… je n’ai pas de jumeau ouf !) dans le cercueil.
Le deuil c’est bien sûr une séparation et aussi dans un second temps un préambule, une invitation à entrer dans une nouvelle étape de sa vie.
De la tombe au berceau d’une nouvelle vie.
Comme avec chaque nouveau-né, le temps est nécessaire pour laisser grandir, se développer la nouvelle graine de vie. L’existence est un perpétuel recommencement. Je pense au mythe de Sisyphe qui passe son temps, en vain, à chercher à monter sa pierre jusqu’au sommet. La malédiction est celle de vouloir constamment reproduire, réutiliser les mêmes recettes, réemprunter les mêmes chemins. Un deuil est là aussi pour nous inviter au nouveau départ. A la nouvelle lune. Quelle nouvelle odyssée ai-je envie d’expérimenter ? Où ai-je envie de m’aventurer ? Dans quelles nouvelles contrées ?
Le deuil nous propose de changer d’habitudes. Notamment celles qui étaient celles d’avant. Qui n’ont peut-être plus cours avec la disparition du proche, de l’être aimé.
Derrière la tristesse de la perte de mon oncle, je perçois aussi de la joie. Par la fenêtre (j’ai quitté des yeux un instant l’écran de l’ordinateur), les feuilles mortes s’envolent dans le champ. Clin d’œil d’un vent facétieux qui me raconte que le soleil arrive après la pluie. Aujourd’hui le temps est de saison. Automnal à souhait. L’hiver arrivera bien assez tôt.
Alors, quel nouveau chemin vais-je emprunter ? Quelle sera la voie inconnue où je vais diriger mes pas ? Et vous ? Il n’est pas nécessaire d’attendre, de vivre un deuil, pour s’interroger sur son désir de changement. Sur le sens profond de son existence.
Laisser advenir… voilà où j’en suis.
Et vous ?
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