Dimanche au soleil.
Je me rends à mon bureau en passant par le chemin d’écolier, à travers les bois et les champs, quand j’aperçois une troupe d’une dizaine de personnes, une ou des familles de flamands ou hollandais venues profiter de la nature en ce dimanche où le soleil perce enfin.
J’aime marcher seul, en silence, et n’apprécie que modérément les rencontres fortuites quand je pars travailler. L’esprit occupé à mes futures tâches. Je décide donc de ralentir ma marche, plutôt qu’accélérer et devoir traverser les conversations. Comme dans tout groupe, il y a des traînards. Un homme âgé et son fils ou gendre, je pense, plus un petit garçon qui fait la navette entre les deux groupes. Je m’arrête, puis je repars. Plusieurs fois. Les deux traînards font de même. Le reste de leur groupe prend de la distance. Marcher au ralenti ne m’est absolument pas confortable. Ce n’est pas mon rythme et je décide donc de changer de tactique : d’accélérer pour dépasser le duo dans un premier temps puis le groupe le plus conséquent et bruyant. Arrivé au niveau des trainards ou de ceux qui prennent leur temps (tout est question d’interprétation), je dis bonjour au petit garçon qui me surveille depuis un instant. Les deux adultes s’arrêtent et le grand-père entame la conversation. Il a eu 70 ans en février et il est venu fêter en famille son anniversaire dans cette belle campagne wallonne. Son français (il est hollandais) est tout à fait correct et il me demande si je suis peintre en montrant le rouleau de toile de lin que j’ai entre les mains. Je comprends que c’est ce « rouleau » qui l’a intrigué, qui est à l’origine de nos échanges – moi qui voulait juste les dépasser. Il me parle de la prononciation de Van Gogh difficile pour les français… je confirme en essayant d’imiter sa prononciation à la néerlandaise (si je comprends bien le « G » se prononce plutôt comme un « R » de fond de gorge). On évoque encore d’autres choses, jusqu’au moment où le fils ou gendre (il travaille au Maroc) se rend compte que le gros du groupe est déjà loin. On se sépare à la croisée des chemins. Je continue ma route le cœur léger.
Cette conversation impromptue m’a mis en joie. M’a donné à réfléchir sur ces changements de rythme que nous propose la vie : ralentir, accélérer, être dans son propre tempo.
La veille, au cours de notre balade digestive du soir, ma compagne m’a demandé si j’avais envie de courir. J’avais répondu Non. Après l’épisode hollandais, je répondrais Oui. Courons. Juste pour ressentir ce que ce changement de rythme me procure comme sensations autres que celles que je connais.
Au cours d’un stage auquel je participais, un autre participant nous a fait bouger et ressentir nos sensations corporelles à l’écoute de deux chansons, Comme d’habitude et My way. La même mélodie (Jacques Revaux/ Claude François) mais deux textes très différents : dans la première (paroles Gilles Thibaut/Claude François), Claude François chante la fin d’une histoire d’amour, alors que dans la seconde (paroles Paul Anka) Franck Sinatra exalte son parcours de vie. Il n’y avait pas photo : écouter My way met davantage la pêche !
La prochaine fois, que je croiserai une famille en goguette, je repenserai certainement à ce hollandais qui aime les peintres (même ceux qui ont deux oreilles) et je n’hésiterai pas à les doubler. Avec ou sans un rouleau de toiles.
Et vous, est-ce que ça vous arrive d’expérimenter des changements de rythme dans votre vie ?
Que constatez-vous ?
L’expérience corporelle de marcher au ralenti, ou à son rythme ou de courir à un réel impact sur notre mental. S’extraire de son « confort », de son habitude, est intéressant à expérimenter. Qu’est-ce que j’apprends de ce possible inconfort ?
Dans un ancien temps, une jeune femme m’avait abordé alors que je lisais un scénario dans le métro parisien. A l’époque, je travaillais comme lecteur. J’avais senti une présence dans mon dos, que quelqu’un lisait derrière mon épaule. Finalement, elle (la présence) s’était assise à côté de moi et avait enclenché la discussion. Elle m’avait raconté qu’elle avait passé un casting pour un rôle dans le scénario que je lisais et me demanda si je pouvais l’aider à obtenir le rôle. Je n’avais pas ce pouvoir. Il me reste en mémoire ce moment inattendu et charmant. On s’était quitté à la station Opéra. Changement de correspondance. Je ne l’ai jamais revue (pas même à l’écran). Sûrement comme le grand-père hollandais. Le plaisir de l’instant présent. Vivre sans rien attendre du moment et oser suivre son impulsion. Cette fille, je l’avais trouvé culotté et inspirante. J’ai eu quelques belles rencontres dans le métro et connu aussi des fois où je n’ai pas osé suivre mon impulsion de l’instant « Bonjour Mamzelle ».
Alors aujourd’hui, je change de rythme et j’ose. Et vous ?
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